Propos recueillis par Antoine Colonna
Un peu après les autres dirigeants occidentaux, Emmanuel Macron s’est rendu en Israël pour apporter son soutien à l’État hébreu, quel regard avez-vous porté sur cette visite ?
Le président français est venu montrer son soutien et sa solidarité. C’était important pour nous. Il a eu une bonne idée en faisant cette comparaison entre le Hamas et Dae’ch. Macron a aussi évoqué la création d’une force internationale pour lutter contre le terrorisme ; il faudra voir si cela se concrétise. Mais c’était important de venir à un moment où nous étions frappés, peu importe qu’il ne soit pas arrivé le premier. Ce soutien nous permet de poursuivre les buts que nous nous sommes fixés. Il s’agit d’anéantir l’emprise du Hamas sur Gaza et de liquider ses dirigeants. Il faut aller les chercher sur place, ce qui est extrêmement douloureux car nous perdons des hommes. Mais nous avons une certaine ligne que nous sommes obligés de tenir. Pendant dix-sept ans, nous avons essayé de vivre à côté du Hamas. Nous savions évidemment que, dans leur charte, ils prévoyaient la destruction d’Israël. Mais nous nous sommes dit : ils sont maintenant souverains à Gaza. Si nous les aidons à avoir un niveau de vie meilleur, si nous aidons la population, si nous faisons passer de l’argent, si nous les laissons venir travailler chez nous… , peut-être, comme c’est le cas en Cisjordanie, ils s’habitueront à une coexistence. La Cisjordanie n’est pas encore la solution du problème israélo-palestinien, mais il y a une espèce de coexistence.
Hélas, nous nous sommes lourdement trompés. Vous ne pouvez pas amadouer une panthère. Toutes les idées qui viennent d’amis comme Biden, Macron ou Sunak sont intéressantes, mais après ce qui nous est arrivé, nous ne pouvons plus vivre à côté du Hamas. Nous devons d’abord régler ce problème avant tout. Après on parlera d’autre chose.
Dans la palette diplomatique qu’Israël déploie aujourd’hui, il y a le dialogue, malgré tout, avec les puissances arabes, notamment pour libérer les otages. Quels sont les canaux diplomatiques avec eux ? La Russie et la Chine peuvent-elles jouer un rôle ?
Je commence par la fin. La Russie et la Chine se sont rangées du côté du Hamas/ Dae’ch, tout simplement. La Chine, moins que la Russie, car elle est plus loin et elle a moins d’intérêts dans la région. La Chine ne montre aucune volonté de dialogue avec Israël même si nous avions de bonnes relations avec Pékin. La Russie, qui depuis son aventure ukrainienne se trouve en conflit avec l’Occident, s’est rangée, tout simplement du côté du Hamas/Dae’ch en signant un pacte avec l’Iran. Regardez cette grande Russie : la Russie qui a vaincu la menace nazie n’est pas même capable de produire ses armes. Aujourd’hui, elle s’adresse à l’Iran et à la Corée du Nord pour la ravitailler. La Russie a invité une délégation du Hamas. Il semble qu’elle ait demandé la libération de huit otages russo-israéliens. Mais au-delà des otages, Moscou est dans l’autre bloc. Cette Russie avec laquelle nous avions de bonnes relations… Poutine était considéré comme un ami d’Israël. Mais tout a changé avec l’Ukraine. La Russie considère que, si on n’est pas avec elle, c’est qu’on est contre elle, c’est aussi simple que cela. Elle ne nous aidera donc pas dans ce conflit.
On n’est donc plus dans la situation de 1973 où Américains et Soviétiques avaient contribué aux négociations ?
Non, à cause du conflit entre les États-Unis et la Russie dans lequel nous ne sommes pas engagés. C’est avant tout leur conflit. Pour ce qui est des otages, trois pays jouent un rôle. Tout d’abord les États-Unis, qui sont très actifs ; l’Égypte, qui est notre voisine et qui est très embêtée par tout ce qui se passe ; et le Qatar, qui est un agent du Hamas/Dae’ch mais qui veut toujours jouer tous les rôles, qui veut être partout. Peu importe, nous sommes prêts à parler avec le diable si on peut arriver à libérer un otage. Ce sont là les trois pays qui ont un rôle, personne d’autre.
La question reste extrêmement difficile parce que, d’un côté, nous devons gagner cette guerre et, de l’autre côté, ils détiennent des otages. Quand je dis otages, il faut préciser. Il y a un bébé de 9 mois. Il y a une vingtaine d’enfants de moins de 6 ans. Il y a des femmes qui ont été violées, torturées. Il y a des vieillards de plus de 80 ans. Comment s’y prendre ? Là est toute la question.
Nous avons une obligation morale de premier ordre qui est de ramener tous les otages, et on ne peut pas faire confiance au Hamas qui retarde les négociations pour gagner du temps. Mais nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout. Le Premier ministre Nétanyahou, les ministres Gallant et Gantz ont promis qu’une fois les otages rendus, les opérations militaires continueraient. Le prix à payer, c’est de faire des pauses de temps à autre…
Sur le plan diplomatique, ne craignez-vous pas des pressions sur Israël pendant ces pauses ? Des Américains, de la communauté internationale ?
C’est vrai, il faut s’attendre à des pressions, même chez nos alliés. Même chez Biden qui nous dira : “Essayons de faire par des moyens diplomatiques ce que vous voulez faire de façon militaire. ” Il faudra lui dire non. On ne pourra pas vivre sans cesse avec cette menace. Tant qu’elle est là, on ne pourra pas permettre le retour de nos populations qui ont dû évacuer le sud du pays.
Tous les drames ont une fin. On peut penser que, d’ici à quelques mois, le Hamas sera vaincu. Sera-t-il temps de reprendre la normalisation avec l’Arabie saoudite ? Est-ce que finalement Israël, vainqueur militairement, aura un poids supplémentaire dans des négociations avec le monde arabe ?
Je crois, oui. Nous vivons dans un environnement où il faut être fort. Dès qu’on perçoit un moment de faiblesse, on nous tourne le dos. Donc c’est une raison de plus pour laquelle la victoire d’Israël doit être décisive et nette. Cela afin que tout le monde comprenne que, même si nous avons eu un moment de défaillance, c’est toujours Israël, l’État le plus fort du Moyen-Orient. On s’est remis de notre défaillance de la guerre de Yom Kippour, on a gagné la guerre. Les États-Unis se sont remis de leur défaillance de Pearl Harbor, ils ont gagné la guerre.
Au Moyen-Orient, si vous voulez être entendu, vous devez être fort. Lorsque nous aurons écrasé le Hamas, vous dites des mois, mais je suis optimiste, je dirai des semaines – mais c’est peut-être vous qui avez raison -, nous reprendrons notre dialogue avec l’Arabie saoudite et d’autres pays qui ont intérêt à coopérer avec nous. Parce que, pour l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Jordanie, les Émirats, Bahreïn, Oman, d’autres pays, nous représentons la modération face à un islam enragé qui vient de Téhéran et qui a maintenant des tentacules un peu partout. Il y a un intérêt commun qui est toujours là, même avec cette guerre, et qui resurgira après elle. Nous en sommes convaincus. Ce sera long et difficile. C’était difficile même avant. Mais il y a des intérêts profonds de tous ces pays à une lutte commune contre le radicalisme islamiste qui menace toute cette région. Alors est-ce que c’est une question de semaines ou de mois ? Je ne sais pas. Je peux vous assurer d’une chose, une des priorités d’Israël sera le rétablissement du dialogue avec l’Arabie saoudite. J’ajoute, entre parenthèses, avec aussi d’autres pays, que je ne peux pas nommer pour l’instant.
Il y a un soutien américain indéniable. Pourtant, il y a en Israël une inquiétude sur le plan militaire concernant la situation avec le Hezbollah. Certains considèrent qu’Israël ne tire pas suffisamment la sonnette d’alarme et qu’il faudrait que les Américains soient plus conscients du danger et soient prêts à se déployer le cas échéant.
Je ne suis pas un grand général, mais je me prends un peu pour un stratège après mes expériences…
Vous avez servi dans les chars…
C’est vrai. De fait, il n’y a pas de faiblesse au nord. Une grande partie de l’armée est concentrée au nord. Ce que vous voyez à Gaza, c’est une opération extrêmement importante, ce sont nos unités d’élite. Mais la grande partie de l’armée d’Israël est au nord. Nous avons lancé plusieurs avertissements à Nasrallah. S’il nous attaque, je ne parle pas des escarmouches que vous voyez actuellement sur la frontière, ça fait partie du jeu, mais s’il y a une offensive du Hezbollah contre Israël… Le Liban doit savoir que, puisque le Hezbollah est une organisation libanaise, qu’il fait partie du gouvernement libanais, c’est le Liban en tant que tel qui sera touché par notre réponse. Je peux vous assurer qu’elle sera plus fulgurante qu’à Gaza, alors qu’elle est déjà considérable. Gaza sera anecdotique en comparaison de ce qui se passera si le Hezbollah bouge. Nous avons fait parvenir des messages, publics et privés, notamment par la France. Paris a une grande influence au Liban. Certains posent encore la question : qui décide vraiment pour le Hezbollah ? est-ce Téhéran ou est-ce Nasrallah ?” Pour nous, peu importe. Tous doivent savoir que, non seulement il n’y a pas de faiblesse au nord, mais qu’une action terrifiante est prévue en cas d’hostilité ouverte par le Hezbollah.
Ce que vous nous dites d’un point de vue français ou israélien est frappé au coin du bon sens. Nous sommes des gens rationnels. N’avons-nous pas en face des gens qui ont une forme d’irrationalité ? On l’a vu quand les nazis faisaient des choix tactiques absurdes, préférant massacrer les juifs que d’envoyer des munitions pour leurs troupes. Sommes-nous face à quelque chose de comparable ?
Vous avez parfaitement raison. Je me mets à la place du Hamas/Dae’ch. Mais qu’ont-ils cru ? De leur point de vue, ils ont eu une opération réussie le premier jour. Ils ont tué 1 400 Israéliens. Ils ont pris 240 otages. Ils ont massacré tout le monde et sont revenus sous les applaudissements à Gaza. Les foules les accueillaient, leur jetant du riz et des bonbons. Que croyaient-ils ? Que nous n’allions pas réagir comme nous le faisons ? Il y a bien un élément irrationnel, nous pensons autrement et l’ennemi n’est pas toujours logique. C’est pour ça qu’il faut être prêt. Ce que je vous dis, ce ne sont pas des menaces en l’air. Il y a une possibilité réelle qu’à Beyrouth ou à Téhéran, on fasse une erreur. Comme Avi Pazner, l’un des diplomates israéliens les plus connus, a vécu tous les grands conflits qu’a traversés l’État hébreu depuis sa création. Il a notamment été ambassadeur à Rome et à Paris.
L’article “Tous les quinze ans, Israël doit montrer qu’il est le plus fort” est apparu en premier sur Spectacle du monde.