La politique la plus coûteuse, la plus ruineuse, c’est d’être petit, disait le général de Gaulle. Le général Georgelin ne l’était pas. J’ai longuement hésité à écrire ces quelques lignes. Je suis toujours un peu mal à l’aise à exposer mes sentiments de façon publique. J’y vois probablement, à tort ou à raison, une forme d’impudeur que je reproche à notre époque. Mais aujourd’hui, il s’agit du général Georgelin que je considère comme mon mentor et mon silence serait coupable. Je veux être de ceux qui lui rendent hommage parce qu’ils l’ont connu et l’ont vécu. Je le fais comme officier, comme le subordonné que j’ai été fier d’être, mais aussi tout simplement comme un homme qui a croisé sur son chemin de vie une personnalité exceptionnelle.
Ces années auprès de lui ont été d’une densité incroyable pour moi
Dire que le général Georgelin a marqué ma vie est une litote. Il ne l’a pas marquée, il l’a faite à partir de 2005. D’abord, en m’appelant auprès de lui à l’état-major particulier du président de la République alors que rien ne m’y prédisposait, au contraire. Ensuite, en m’y faisant apprendre et comprendre l’État et en m’accordant sa confiance dans toutes les affaires dont il m’avait confié la responsabilité. Enfin, en me nommant son chef du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) quand il était Cema [chef-d’état-major des armées, NDLR] . Ces années auprès de lui ont été d’une densité incroyable pour moi, militairement, intellectuellement et quasi philosophiquement. Il aimait à utiliser le mot latin de “gravis” pour évoquer les choses importantes, graves et denses… Ce mot s’applique à ce que j’ai vécu auprès de lui.
Je ne lui suis pas reconnaissant d’avoir fait ma “carrière militaire” pour peu que cela soit le cas, je lui suis reconnaissant de m’avoir fait prendre conscience de ce qu’est la “chose militaire”, la “res militia” dans l’État, de m’avoir appris la relation entre politiques, haute fonction publique et militaires, de m’avoir obligé à regarder notre institution comme elle était et non pas comme elle croyait être, de m’imposer de revisiter et de m’astreindre à cette citation du général de Gaulle : « La véritable école du commandement est celle de la culture générale. Par elle, la pensée est mise à même de s’exercer avec ordre, de discerner dans les choses l’essentiel de l’accessoire, […] de s’élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances. » Enfin, d’avoir incarné ce que “courage intellectuel” veut dire.
Lorsqu’il a quitté l’Élysée pour rejoindre l’état-major des armées, les officiers, sous-officiers et personnels civils de l’état-major particulier lui ont offert une édition originale d’un poème en alexandrins d’Alfred de Vigny, la Mort du loup. Je vous en reproduis les derniers vers que je dédie à tous ceux qui ont bien connu le général Georgelin.
« Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Hommes, / Que j’ai honte de nous, débiles que nous sommes ! / Comment on doit quitter la vie et tous ses maux, / C’est vous qui le savez, sublimes animaux ! / À voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse / Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse. / – Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur, / Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur ! / Il disait : “Si tu peux, fais que ton âme arrive, / À force de rester studieuse et pensive,/ Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté / Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté. / Gémir, pleurer, prier est également lâche. / Fais énergiquement ta longue et lourde tâche / Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler, / Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. ” »
À Paris, le dimanche 20 août 2023.
Didier Castres est général d’armée (2S), il dirige le groupe Geos.
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