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Retour sur la chute de l’URSS

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Étrange coïncidence ! L’acte de décès du système communiste aura été signé à Moscou un samedi 24, en août 1991. Trente-deux ans plus tard, le régime a changé, mais c’est encore un samedi 24, en juin cette fois, qu’un Vladimir Poutine saisit la télévision pour y parler de trahison. Citant « le coup porté à la Russie en 1917 » dont « le résultat, dit-il, fut la tragédie de la guerre civile », il désigne « ceux qui ont organisé et préparé le soulèvement militaire », les traîtres qui « devront en répondre » … En août 1991, le putsch aura à peine duré trois jours ; ses meneurs étaient pourtant des chefs de l’état-major des armées, du ministère de l’Intérieur et du KGB, mais ils avaient trouvé plus habiles qu’eux : les Gorbatchev et Eltsine qui dominent la scène finale.

​Au mois de juin dernier, la tentative de coup de force qui amène un Poutine ébranlé à la télévision ne tient pas douze heures. Mais ce n’est pas l’Armée rouge qui se rebelle, seulement le groupe paramilitaire Wagner qui compte de 20 000 à 25 000 hommes, sous la conduite d’un ancien fidèle de Poutine, le richissime Evgueni Prigojine, qui annonce le demi-tour de ses troupes après les avoir appelées à lancer l’assaut sur le Kremlin.

« Il n’y a pas de héros dans cette histoire », dit sobrement le président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, chez qui Prigojine s’est abrité après sa tentative ratée. Curieuse tentative d’ailleurs quand on va apprendre que le patron de la milice Wagner et 35 de ses chefs se sont tout de même retrouvés devant Vladimir Poutine, au Kremlin, le 29 juin, pour y échanger leurs points de vue sur ce qui s’était passé cinq jours plus tôt… Avant de devoir dissoudre leur organisation.

​Une occasion pour Poutine de se rappeler les événements qu’il avait vécus durant l’été et l’automne 1991 quand il n’était encore qu’un lieutenant- colonel du KGB en cours de reconversion dans l’action politique. Chef de cabinet du maire de Saint-Pétersbourg, il veillait à assurer la survie de ses camarades des services secrets.

​Les premières républiques à se séparer de la Russie soviétique furent la Biélorussie et l’Ukraine, en décembre 1991. Voici le récit des derniers jours de l’URSS que fit le Spectacle du monde daté du mois de septembre 1991.

​L’acte de décès du système communiste est donc signé le 24 août 1991 par Mikhaïl Gorbatchev. La faucille et le marteau sont aussitôt brisés sur les façades des bâtiments officiels, le drapeau tricolore de la Russie des tsars rétabli, les statues de Lénine et Dzerjinski (créateur de la police secrète bolchevique, la Tcheka) déboulonnées… Les pouvoirs changent de main.

​Avant même de saluer, de la tribune érigée devant le Parlement de Russie, la fin d’un régime, le vainqueur, Boris Eltsine, assiste à une messe dite sur cette même tribune, devant cent mille personnes. La première messe célébrée au Kremlin remonte au 13 octobre 1989, deux ans plus tôt. La révolution, au sens littéral, s’achève. Elle a accompli son mouvement. Voici la planète russe revenue à son point de départ.

​Rudi Dornbusch, universitaire allemand qui enseigne l’économie à Harvard, dit aux dirigeants du Kremlin : « Maintenant, il vous faut une seconde révolution. Lorsque vous vous êtes engagés dans la première, vous n’avez pas dit qu’il fallait une période de transition pour passer au socialisme. Vous avez dit : le socialisme, ce sera demain. Eh bien, faites de même désormais : la révolution de la liberté et de l’économie de marché. Sans transition. »

​C’est ce que Mikhaïl Gorbatchev n’avait pas su, ou pas pu faire. « Gorbatchev entrera dans l’histoire comme l’une des figures fondatrices de ce siècle, écrit Henry Kissinger (dans l’hebdomadaire Newsweek du 2 septembre 1991). L’effondrement du communisme, la libération de l’Europe de l’Est, l’effacement du terrorisme d’État ont été rendus possibles grâce à son courage et à ses initiatives. Mais le coup d’État (qui devait le destituer) a été déjoué par des hommes et des femmes dévoués à un autre chef. Que Gorbatchev ait été celui qui avait appelé Boris Eltsine à Moscou, que bien des partisans d’Eltsine soient d’anciens disciples de Gorbatchev, tout cela montre combien l’Histoire peut être cruelle. Gorbatchev n’est pas le premier révolutionnaire à être remercié par les forces qu’il avait lui-même mises en mouvement… »

​Le système né du coup d’État léniniste d’octobre 1917, c’était à la fois un empire, une religion séculière, et une machine, un appareil, une organisation. L’Union soviétique aura été la première construction purement idéologique de l’Histoire, sans lien ni avec une nation ni avec un territoire. Dans l’ordre de la décomposition, c’est la “religion” qui aura cédé la première, avant l’empire et l’appareil. Deux hommes, à l’extérieur du système, auront allumé les détonateurs de l’implosion : le pape Jean-Paul II et Ronald Reagan. Le premier, élu en 1978, le second en 1980, tous deux cibles d’attentats.

​Tandis que le pape polonais réveillait la foi en Europe de l’Est (et ailleurs), faisant de la Pologne un abcès durable dans le glacis soviétique, le président des États-Unis montrait aux Soviétiques la détermination américaine : il doublait les crédits militaires, tenait bon sur les fusées Pershing et lançait, le 23 mars 1983, l’Initiative de défense stratégique (la « guerre des étoiles »). « Cette course aux armements, disait-il aux Soviétiques, vous ne la gagnerez pas. » Ce défi plaçait le Kremlin devant un choix extrême : la guerre ou le changement.​

Youri Andropov, qui avait été le chef du KGB pendant quinze ans, et qui était alors au pouvoir, s’inclina devant la détermination de Reagan et prépara Gorbatchev à lui succéder. Celui-ci arriva au pouvoir le 11 mars 1985. Le régime était épuisé.

Bouleverser l’appareil par le sommet

​Tatiana Zaslavskaya, la sociologue soviétique la plus écoutée tant à Moscou que dans les instituts étrangers, distingue quatre phases dans le mouvement de “perestroïka-glasnost” engagé par Gorbatchev.

​- De 1985 à 1988, tentative de réforme du système au sommet de la hiérarchie. Tentative sans suite, mais changement des hommes.

​- En 1989 et 1990, tentative de révolution sociale, d’émancipation et de constitution d’un État de droit. Libération de l’Europe de l’Est, abandon de l’idéologie de la lutte des classes.

​Fait Prix Nobel de la paix, Mikhaïl Gorbatchev se rend à Oslo et déclare : « Nous rejoignons la communauté et la civilisation internationale. » L’“Homo sovieticus” est enterré au cimetière des idées mortes. La diplomatie soviétique s’aligne sur l’américaine ( « Nous allons vous priver d’ennemi »), et le mouvement démocratique se développe.

​- Automne 1990-printemps 1991. Réaction des conservateurs, qui tirent parti de la déception générale à l’égard de la perestroïka (pas d’amélioration du niveau de vie, pas de réforme agraire, extension des privilèges de la Nomenklatura, scandales des mafias).

​- Printemps-été 1991. Crise sociale de la perestroïka. Gorbatchev discrédité, contesté par les siens ; l’empire éclate ; Boris Eltsine est élu le 12 juin, au suffrage universel, président de la Fédération de Russie.

​Le coup d’État du 19 août suivant est comparé à celui qui avait renversé Nikita Khrouchtchev au mois d’octobre 1964. Ce n’est pas absurde. Khrouchtchev avait ouvert une brèche dans le système en 1956, en condamnant le régime stalinien, en décidant de bouleverser l’appareil par le sommet, d’adapter l’économie, et de réduire les crédits militaires.

​Quelles devaient être logiquement les conséquences d’une telle politique sur l’avenir du régime ? Le philosophe et historien Jules Monnerot les décrivit à l’époque, dans la préface de 1963 de sa Sociologie du communisme : « Le système était fondé sur une certaine possibilité de tromper. En ce sens, le communisme est à la merci des télécommunications (dont les images révèlent la réalité)… Si Khrouchtchev dépose le bilan de l’économie politique dite communiste, ce bilan restera déposé. De telles perspectives donnent sur la liquidation totale du communisme. »

​L’action de Khrouchtchev conduisait donc à la décomposition du système, comme celle de Gorbatchev en 1991. À l’époque, les conservateurs répliquèrent comme ils ont tenté de le faire en ce mois d’août. La mise en place et la réalisation du coup d’État durèrent trois jours, les lundi 12, mardi 13 et mercredi 14 octobre 1964. Khrouchtchev signa sa déposition. En prenant sa succession, Léonide Brejnev retarda de vingt ans l’inéluctable. Au prix d’une gigantesque dépense militaire, dont le pays allait sortir quasi asphyxié.

​Cependant, si le coup de 1964 a réussi, c’est que l’empire était alors intact, et que l’appareil répondait.

​L’été 1991, l’empire est disloqué, les commandes ne répondent plus.

​Dès le lundi 19 août au soir, les généraux Gratchov et Lebed, les commandants des troupes aéroportées, unités d’élite de l’Armée rouge engagées dans toutes les opérations de maintien de l’ordre, apportent à Boris Eltsine l’appui de leurs forces. C’est parce qu’ils sont, en principe, les mieux informés de l’état réel de l’appareil d’État et du véritable rapport de force, que les agents du KGB sont les premiers à anticiper l’échec du putsch (qu’ils précipitent), et à soutenir Eltsine, pour préserver leur propre avenir. De même, les unités d’élite de l’armée abandonnent un pouvoir sclérosé pour passer dans le camp de celui qui a su acquérir autorité et légitimité.

​Dans les vingt-quatre premières heures du putsch, les commandants de garnison de onze villes russes font allégeance au parti d’Eltsine. En février et mars 1917, c’est l’abandon des Cosaques, troupes d’élite du tsar, et aussi de sa Garde, qui avait conduit Nicolas II à l’abdication. Ceux qui avaient sans doute l’intention de faire couler le sang (le ministre de l’Intérieur Boris Pugo, ou l’ancien chef d’état-major des armées, le maréchal Akkromeyev) ont dû tirer la conclusion de leur propre impuissance : ils se sont donné la mort.

Aucune aide des grandes puissances

« Tout régime totalitaire , note l’historien dissident Andrei Amalrik, tombe en décrépitude sans s’en apercevoir. » Trois jours après l’arrestation des derniers dirigeants communistes, Boris Eltsine décrète la dislocation de l’Union soviétique. Il résume son programme par un mot : Russie. Qui signifie : renaissance, liberté et développement de la Russie. « Sans Parti communiste, le système est promis à la désintégration , dit l’Américain Richard Pipes, historien “soviétologue” de l’équipe Reagan : laissons-le d’abord se désintégrer. » Mais ensuite ? Faut-il aider à la reconstruction de la Russie, et comment ?

Aucun gouvernement démocratique, ni combinaison de gouvernements, observe Kissinger, n’a les moyens d’un programme d’assistance à l’Union soviétique. L’Allemagne de l’Est, dont les infrastructures sont bien supérieures à celles de l’Union soviétique, exige déjà l’injection de près de 100 milliards de dollars par an, et malgré cela, elle a 40 % de chômeurs… Pour l’Union soviétique, il faudrait, au même niveau, quelque 1 500 milliards de dollars… »

​Cela renvoie à la réalité les appels à l’aide de toute urgence pour l’URSS lancés par François Mitterrand au mois d’août 1991. La France a encore moins les moyens de fournir cette aide que l’Allemagne, les États-Unis ou la Grande-Bretagne. Quant au Japon, il attend de Moscou la restitution des îles Kouriles, dont il a fixé le prix : de l’ordre de 30 milliards de dollars.

​Pour agir, les investisseurs ont besoin d’une règle du jeu stable et d’un cadre juridique clair. Quant aux gouvernements occidentaux, ils veulent savoir qui détient la clé des douze mille têtes nucléaires encore disséminées sur le territoire soviétique. Cette clé qui fut entre les mains des putschistes pendant soixante heures, et pas une de plus…

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